Habituellement les cours d’histoire
la passionnaient, mais là c’était un pan qui ne l’intéressait nullement, étant
donné qu’elle ne voulait pas en faire son domaine d’expertise. Refusant de se
tourner vers le futur, elle avait décidé qu’elle passerait sa vie au milieu de
reliques du passé, et qu’elle deviendrait historienne spécialisée dans les
Croisades. Elle avait ainsi commencé à se renseigner et arborait au cou la
célèbre croix des Templiers. Elle trouvait ce symbole fort de sens, et malgré
le fait qu’elle ne soit pas croyante, elle comprenait que porter ouvertement ce
symbole pouvait lui attirer des problèmes du fait du penchant extrême des
Croisades. Et pourtant elle trouvait ça fascinant que des textes sacrés sortis
d’on-ne-sait-où arrivent malgré tout à rallier tout un peuple à sa cause,
dussent-ils causer des milliers de morts à cause de différences d’allégeance.
Elle revint à la réalité lorsqu’elle sentit un papier lui heurter l’arrière du
crâne. Elle ne se retourna pas, trop habituée à ce genre d’agissements de la
part de ses camarades. Elle entendait les ricanements à longueur de journée
dans son dos mais ils ne lui faisaient plus rien si on les comparait à leurs
mots qui, eux, l’atteignaient toujours en plein cœur. « T’es grosse, t’es
moche, tu sers à rien, crève salope » furent tant de joyeusetés qu’elle
avait dû essuyer, car elle était effectivement un peu en chair, mais les
moqueries avaient commencé lorsque les professeurs avaient jugé bon de donner
les notes à voix haute. Jenny décrochant toujours d’excellentes notes, elle
était devenue la première de la classe que l’on tourmente pour la faire tomber
de son piédestal. Pourtant, elle ne tirait aucune joie des notes qui pourtant
lui permettraient une admission dans une université loin de cette ville de malheur.
Elle en était même déçue, car elle aurait préféré voir si en étant dans la
moyenne, elle aurait été plus facilement acceptée. Elle en doutait mais elle
avait toujours cet espoir fou que toute cette histoire ne durait juste parce qu’ils
n’avaient pas cherché à la connaître.
À la fin du cours, le
professeur lui demanda de rester quelques minutes. Il aborda le sujet de ses
rêveries, de son manque d’attention sur les cours sur l’Égypte Antique, ce à
quoi elle répondit en expliquant son projet. Le professeur comprit mais l’avisa
de malgré tout écouter en cours car cela pouvait lui servir, même si elle
pensait n’avoir rien à tirer de ce chapitre. En sortant, elle remit son casque
et marcha dans le couloir. « Too
many times, you lied to me » lorsque soudain elle perdit l’équilibre
et tomba sur le sol, son nez heurtant violemment le plancher. Elle se releva,
se retourna et vit des garçons se taper les cuisses en riant. Excédée, elle
partit sur le toit du lycée afin de se calmer tout en étant dans un endroit
loin de ces enfants de…
Elle attrapa un mouchoir
et nettoya son visage ensanglanté, puis elle commença à contempler la vue qui s’étendait
sur la petite ville où elle résidait. Elle repensa à la dernière fois qu’elle s’était
réfugiée sur le toit, lorsqu’elle avait décidé qu’elle avait vécu et s’était
ainsi jetée du toit. Certains l’avaient rattrapée en lui disant qu’il ne
fallait pas faire ça, qu’elle avait encore tant à vivre, et tant d’autres
mensonges éhontés. Le principal la convoqua et essaya de la faire parler, sans
succès. Il contacta la mère de Jenny qui crut bon de la faire interner pendant
un mois. À son retour, tout le monde sauf son professeur d’histoire la
regardait comme une folle. Elle avait commencé à penser qu’elle l’était et que
c’était là la raison pour laquelle personne ne voulait d’elle.
Elle était perdue dans ses
pensées lorsqu’une présence à côté d’elle la fit réagir. Elle enleva son casque
en roulant des yeux, prête à expliquer au directeur pourquoi elle était là,
mais en tournant la tête, elle vit une jeune fille d’environ son âge qui la
regardait en souriant. Elle ne l’avait jamais vue auparavant, et pourtant elle
lui semblait familière. Ce fut l’inconnue qui brisa le silence.
-
Salut, j’ai vu ce
qu’ils t’ont fait, c’est vraiment salaud de leur part. Ça va ton nez ?
-
Mouais, grommela
Jenny. Tu peux aller leur dire que s’ils veulent me faire chier, ils ont qu’à
le faire eux-mêmes au lieu d’envoyer quelqu’un faire le sale boulot à leur
place.
L’inconnue se recula et
répondit en bégayant :
-
M-m-mais… J’ai
rien fait moi ! J’ai juste vu que tu t’étais faite emmerder donc je suis
venue m’assurer que tout allait bien. Je suis nouvelle ici donc je connais personne,
et t’es la première personne à qui je parle donc crois-moi que je connais per…
-
T’inquiète, l’interrompit
Jenny. Je suis juste habituée à ce que ces chiens me fassent chier tous les
jours, je crois que je deviens parano voire folle. Ou p’têtre que je l’suis
déjà. Bref, tu t’appelles comment ?
-
Ouais je
comprends. Mais je suis sûre que tu n’es pas folle. Sinon je m’appelle Marie,
et toi ?
-
Jenny. Tu peux t’asseoir
si tu veux, même si normalement on… Enfin je suis pas censée être là.
Marie s’assit et aucune
des deux n’échangea un mot pendant de longues minutes. Ce fut la porte s’ouvrant
qui brisa le silence, et la voix du directeur sommant Jenny de quitter les
lieux si elle ne quittait pas les lieux. Au moment de repartir, Jenny marcha
vite comme à son habitude au son du morceau Imaginaerum
de Nightwish qui lui apportait un côté épique afin de la détendre sur le
trajet, lorsqu’elle perçut par-delà la musique quelqu’un qui l’appelait. Elle
pressa le pas, persuadée que c’était encore quelqu’un qui voulait l’embêter,
lorsqu’elle vit arriver Marie à côté d’elle. Soulagée, elle enleva son casque.
-
Pfou… Tu marches
vite mine de rien, dit Marie, totalement essoufflée.
-
Ouais, j’ai
développé ça à force de me faire emmerder.
Elles discutèrent en
marchant, Marie priant Jenny de ralentir la cadence plusieurs fois, et lorsqu’elles
arrivèrent devant la maison de Jenny, Marie dit qu’elle habitait en face et que
la coïncidence était immense qu’elles habitent en face l’une de l’autre. Jenny
eut alors une épiphanie.
-
Eh mais c’est toi
que j’ai vu à la fenêtre cette nuit alors ? Tu ne dors pas beaucoup non
plus ?
-
Oui c’était moi,
et non je suis insomniaque, du coup j’en ai profité pour faire le ménage.
Jenny fut alors horrifiée,
et commença à pâlir. Elle espérait que Marie ne la voyait pas lors de son
rituel.
-
Bon sinon ouais j’espère
que tu me regardes pas pendant que je me change, dit Jenny en plaisantant.
-
Non, par contre
je dois avouer que je t’ai vue ce matin avec ta lame.
Jenny essaya d’éviter le
sujet, mais Marie ne comptait pas lâcher.
-
J’ai connu des
personnes frileuses, mais peu portaient un sweat par 27°C, et puis quand je t’ai
vue, j’ai eu peur de te voir mourir avant de pouvoir te parler. Bien sûr je n’imaginais
pas te rencontrer au lycée, mais bon au moins en tant que voisine. Quoiqu’il en
soit, si tu as besoin, je suis là.
Jenny la remercia et
rentra chez elle. Son oncle l’accueillit en l’insultant, comme à son habitude,
mais elle n’y prêtait plus attention à force. Elle monta dans sa chambre et alluma
sa chaîne Hi-Fi sur l’album Vengeance
Falls de Trivium, qui débuta avec le fracassant Brave This Storm, qu’elle jugeait sympa et motivant, mais qu’elle n’écoutait
que dans le cadre de cet album. Elle commença à réviser et faire ses devoirs au
son de la musique, sans voir que de l’autre côté de la rue, Marie la regardait,
un sourire au coin des lèvres.
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